Demonstrators march through the streets of Port-au-Prince, on February 7, 2019. Demonstrators demanded the resignation of Haitian President Jovenel Moise, as protesters blocked streets and lit tires during their march in the Haitian capital. The protesters also demonstrated against the Petrocaribe fund, as last week a new report on the spending of money from the Petrocaribe fund was presented. / AFP / HECTOR RETAMAL

Crise politique et crise politisée : regard sur le climat actuel

L’histoire d’Haïti, de 1804 à nos jours, est jalonnée de crises, les unes plus aigues que les autres, entrainant ainsi le pays dans un va-et-vient vers nulle part, une spirale de sous-développement.

Cette crise interminable affaiblit malheureusement tout effort de relèvement collectif, jusqu’à ce qu’au bout du compte, Haïti soit l’unique pays moins avancé du continent américain. Depuis toujours, elle est profitable à quelques-uns – qui ont toujours su profiter de nos périodes les plus tristes, mais collectivement, elle ne fait que cracher sur tout effort de relèvement. Nous sommes arrivés à un point tel que les crises politiques étant si récurrentes, que n’importe quel problème social qui, a un moment de la durée, est mal appréhendé par les autorités, peut être vite politisé, pour en faire une crise.Haïtidevientcomme une société inconcevable, inimaginable sans les crises qui la secouent depuis sa création.

Sile plus simplement possible, une crise politique est vue comme une « phase grave » dans l’évolution de la situation politique d’un pays, au point qu’elle entraîne des grèves, des manifestations, des mouvements sociaux, des émeutes ou, plus grave, une révolte ou une guerre, il faut reconnaître que si d’autres sociétés ont connu, elles aussi, des crises, il leur arrivé à un moment de la durée, de tirer les leçons nécessaires pour aller de l’avant. Quant à nous autres en Haïti, notre histoire est plutôt nourrie de crises permanentes qui affectentpolitiquement, économiquement et socialement le pays.

La pérennisationde la crise qui malheureusement profite à certains, a fini par boucher les tuyaux où devaient sourdre les énergiesnécessaires à la construction du bien-êtrehaïtien. Deux siècles de rabattement, de va-et-vient, au point que certains doutent qu’on ne soit pas condamné à rester sous-développé. S’ils n’ont pas raison sur notre « condamnation au sous-développement » – du moins je l’espère, ce qu’en témoigne la réalité est quand même triste. Par exemple, faute de cette crise pérenne :

  • depuis la fin des années 1980, le pays connaît une chute brutale des exportations.
  • la population vit dans une situation de pauvreté où actuellement plus de 6,3 millions de personnes sont incapables de subvenir à leurs besoins essentiels, sur une population de 11 millions d’âmes ;
  • le taux d’homicides a doublé entre 2007et 2012 ;
  • Haïti a du mal à mettre en place les politiques et les mécanismes institutionnels essentiels à son développement économique adéquat ;
  • en plus flux migratoire accéléré des Haïtiens, aujourd’hui plus de 85 % des Haïtiens détenant un diplôme universitaire vivent à l’extérieur ;
  • en l’espace de 33 ans (1986 à nos jours)le pays a connu 22 gouvernements.

On aurait pu défiler d’innombrables autres exemples, mais nous nous arrêtons là, avec ces faits qui devraient honnêtement nous interpeller. 

Ajoutée à la crise réelle, la crise profonde (celle qui trouve ses racines dans nos choix politiques, lesquels – au lieu de nous conduire vers le progrès, nous enfonce dans la honte de l’histoire), il faut aussi compter les crises factuelles, les crises voulues et profitables. Car si l’instabilité nuit à une majorité, cela ne fait aucun doute que certains savent minutieusement en profiter. C’est donc dans cette optique qu’il faut inscrire ce que nous appelons dans le titre du texte « les crises politisée ». Bien évidemment, une crise, une fois ayant atteint la dimension politique, sera politiquement récupérée, sans que pour autant que cette utilisation soit malsaine, dans le sens que les acteurs qui la reçurent, n’y voient que les débouchées politiques. Car la politique n’est pas seulement nourrie de tromperies, de basses œuvres, de coups bas et autres, elle est aussi – tout dépendamment des acteurs – sincère et réellement attachée à des valeurs progressistes.

Mais il est un fait : greffée à la permanence de nos crises politiques, la création et la récupération d’insatisfactions susceptibles de déboucher sur des crises, devient une arme stratégique entre les mains d’acteurs qui n’entendent pas laisser le libre champ aux gouvernants. A des moments, les crises sont recherchées et nourries parce qu’elles représentent une arme de combat politique majeure. Tout devient un fardeau pour le gouvernement, il suffit qu’une situation donnée(ayant presque ou atteint une phase de maturité) soit utilisée politiquement sous formes de grèves, des manifestations etc. au profit d’un clan politique bien précis, sans que les acteurs qui désormais se font les hérauts de cette cause, y tiennent véritablement. Généralement, les profiteurs sont des gens qui, pendant un temps, étaient dans les vestiaires, qui en profitent pour provoquer des changements, des bouleversements dans le climat politique afin qu’eux, à leur tour, puissent jouer une mi-temps. La presse, aime les scandales. Elle les alimente, les nourrissent.

La fin, la plus courante de toute crise politisée et le partage du pouvoir et non le souci réel de changement dans les conditions matérielles d’existence du peuple. Sinon, cette récupération s’inscrit dans le souci de se faire des alliés et des sympathies électorales.

La politisation des crises a pour principale conséquence « des changements toujours récurrents de gouvernements ou dans la composition de nos gouvernements. La Cross-National Time Series Data Archivea par exemple fait remarquer qu’entre 1986 et 2006, Haïti a connu 20 changements de gouvernement (changements de premier ministre ou de la moitié du portefeuille ministériel).Il est impossible à l’Etat dans un contexte pareil de donner des résultats quand à n’importe quel moment un ministre peut être éjecté, quand son remplacement n’a pas effectué parce qu’il n’a donné de résultats, mais pour des « raisons politiques ».  Leurs successeurs des fois sont meilleurs ou pires, mais l’essentiel c’est que même dans nos coopérations, cela a de mauvaises répercutions sur l’image du pays, sans compter dans nos politiques internes où les institutions publiques souffrent déjà de malfonctionnement.

Une petite compilation de données, m’a permis de constater également que de 1986 à nos jours, à peu près 500 personnes ont déjà occupé un portefeuille ministériel, bénéficiant ainsi des privilèges et des honneurs qui marchent de pair avec cette fonction.Et qui paye les pots cassés ? le budget de la République, notre pauvre économique où la croissance est restée décevante pendant les quatre dernières décennies. Cette situation, ajoutéeaux membres de l’élite économique qui bénéficient des avantages de monopoles légaux et de clauses d’exclusivité, crée une autre frange qui, elle-même, vit pour et par la politique, laissant le peuple, au milieu, asphyxié de misère et de désespoir. Certains diraient : s’il y a une chose qui ne soit pas en crise en Haïti, c’est la crise elle-même. Face à une pareille réalité, un tableau aussi sombre, il n’y pas lieu d’être optimiste quant à l’avenir de ce pays. Les crises deviennent un marché, très rentable politiquement, mais le pays, d’un autre coté, s’engouffre dans l’instabilité et la misère. Le collectif en meurt.

Roudy Stanley PENN

Directeur General PoliticoTech

Politologue / MEPA

Tags: No tags
0

Add a Comment

Your email address will not be published. Required fields are marked *