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Communication de crise : Quel modèle de communication pour Haïti pendant le COVID19?

Le gouvernement haïtien est au four et au moulin depuis près d’un mois. Soit le 19 mars 2020 après l’identification de deux premières personnes ayant contracté le virus. Les autorités se sont alors trouvées face à un besoin imminent d’informer et de sensibiliser une population en grande partie limitée à tout (éducation, électricité, accès à internet), sur non seulement l’existence du virus mais aussi sur les mesures barrières.

Le pouvoir exécutif a dû lancer le Centre d’informations permanentes sur le coronavirus (CIPC) avec pour mission de coordonner les actions de sensibilisation afin d’informer la population sur l’évolution de la pandémie COVID 19.

Ce Centre organise tous les jours, des conférences de presse avec des différents techniciens ou membres du gouvernement. Chaque intervenant selon sa spécialité transmet des contenus techniques et des messages cognitifs par le truchement des canaux traditionnels (radio et télévision) relayant les conférences de presse.  Certaines pages Facebook dont celle du Ministère de la culture et communication diffusent en temps réel ces informations. Cette courroie de transmission d’information révèle du modèle de communication verticale/descendante propre aux institutions qui visent à informer, rendre des comptes et générer la visibilité.  Cela s’inscrit dans le cadre d’une politique d’image et de visibilité institutionnelle.

Alors que la crise qu’a créé le COVID 19 nécessite un changement de comportement de la population par rapport à l’hygiène et d’habitude sanitaire.  Le COVID 19 impose à la population l’application stricte des mesures barrières limitant à cet effet tous liens sociaux comme les embrassades, les câlins, les poignées de main ainsi que l’hospitalité. Les haïtiens qui sont naturellement hospitaliers doivent désormais appliquer la distanciation sociale.

Toutefois, le modèle de communication verticale et unilatérale n’a jusqu’à date pas atteint le résultat escompté. Certains facteurs expliquent cette complexification.

  • La population est sous informée de la pandémie et des mesures de prévention ;
  • La population fait fi des mesures de prévention et de distanciation sociale en raison de leur scepticisme face aux agissements du gouvernement depuis le début la pandémie du Covid 19 ;
  • La crédibilité du gouvernement est mise en doute (le gouvernement n’a pas de figure crédible devant se charger de sa communication) ;
  • La population croit qu’il y a rétention d’information (la population croit que le gouvernement lui ment et lui cache des informations) ;
  • L’incohérence des discours et déclarations des membres du gouvernement (le gouvernement demande aux gens de garder la distance sociale pourtant des entités de ce même gouvernement réuni des centaines de gens dans un espace public sans aucun contrôle ;
  • L’unilatéralité / la verticalité des communications.  (Le gouvernement décide de l’arrêt des activités sans pour autant contacter les acteurs qui peuvent l’aider à faire respecter cette décision).

Que garantirait la communication pour le développement / C4D en cette période crise?

Dans le cas d’Haïti, surtout dans cette période de crise, la communication ne doit pas reproduire le pouvoir mais doit constituer un instrument de transformation sociale : horizontal, participatif, populaire tel que le soutien Paulo Freire (1970)

Le recours au C4D, sigle correspondant à l’anglais Communication for développent /Communication pour le développement qui est un outil d’influence sociale et politique, favorise la participation et le changement social grâce aux méthodes et aux instruments de la communication interpersonnelle, aux médias communautaires et aux technologies modernes de l’information.  Elle dispose des outils et moyens de communication de masse (radio, télévision, médias sociaux) ainsi que des moyens hors média (Rencontre, atelier, visite de terrain, débat public, évènement de porte à porte). Elle encourage la participation démocratique telle qu’énoncé dans les méthodes de la communication collective de Jean Routier et Alice Labrèque (2004).

La communication pour le développement est un véritable « droit de savoir » pour reprendre EdwyPlenel (2013). Elle facilite l’accès à l’information, permet aux citoyens de participer et de s’impliquer au changement que les acteurs politiques ou économiques veulent les inciter à faire tout en ayant de grandes influences sur les politiques publiques.

Ce modèle de communication a déjà porté des fruits aux États-Unis et dans plusieurs pays du continent africain. Les travaux de (Ryan et Gross, 1943 ; Katz et Lazarfield, 1955), sur le processus de diffusion des innovations et la théorie « twostep flow », du « double flux de la communication » en sont les exemples probants.

Pour informer et sensibiliser la population sur les Covid19, le gouvernement devait solliciter l’accompagnement des leaders d’opinion. Rogers Everett (1995 [1962]), les appelle des « Homophiles (personne du même milieu) ». Une personne est plus apte à croire un leader de son milieu. Pour preuve, nous pouvons analyser le fonctionnement du secteur protestant en Haïti.

De plus, Roger insiste sur le rôle de la communication interpersonnelle par rapport aux médias de masse.  En effet, alors que les médias ne peuvent que transmettre l’information, les canaux interpersonnels de communication seraient beaucoup plus aptes à susciter l’intérêt et à motiver la population pour un changement de comportement.

Le gouvernent haïtien à travers le Centre d’information permanente aurait dû prioriser la communication horizontale et multilatérale qui inclurait tous les acteurs de la société civile, les leaders locaux, les leaders religieux, les associations de base et les chefs de parti politique.

En adoptant ce modèle le gouvernement aurait favorisé l’apprentissage informel et l’émergence de nouvelles méthodes d’échange et de partage d’information entre le gouvernement, les élus locaux, les représentants d’organisation de base, les responsables de quartiers, etc. cela aurait rapprocher les points de vue et faciliter l’échanges d’idées entre experts du Ministère de la santé publique et les différentes souches de la population sur la pandémie.

Rogers identifie cinq étapes dans une décision d’adoption d’innovation :

  1. Exposition / connaissance – l’individu est exposé à l’information.
  2. Intérêt et persuasion – l’individu forme une attitude.
  3. Evaluation et décision – l’individu fait son choix de façon active ou passive.
  4. Test / mise en œuvre – l’individu fait face à l’incertitude des conséquences via sa propre expérience ou l’observation des autres.
  5. Adoption / confirmation de la décision.

La communication pour le développement saurait servi des rites, des mythes, des pratiques ancestrales et symboles d’identification pour informer et sensibilisation la population. Car, si la communication en période de crise a pour objectif de clarifier les enjeux et les intentions de chacun à des fins de changement d’attitudes / d’habitudes et comportements. La communication pour le développement propose une approche de proximité en publiant des affiches / livrets pédagogiques / infographie attractive sur le covid 19, lançant des récits numériques afin de raconter des histoires de manière tangible à la construction de la réalité, etc. 

Le déficit de communication du gouvernement aurait pu s’amoindrir en recourant à la communication participative et collective. Pour faire face à la pandémie il faut que la population change de comportement ou d’habitude. Selon l’approche de Paulo Freire, il serait quasiment impossible de vouloir opérer des changements dans une communauté sans que les habitants / riverains n’y participent.

Pour changer les mauvaises coutumes d’un pays et en créer de nouvelles, disait Benjamin Franklin (1781), il faut d’abord supprimer les préjugés des gens, éclairer leur ignorance et les convaincre que leurs intérêts seront favorisés par les changements proposéset ce n’est pas le travail d’une journée.

En période de crise, il est inévitable de communiquer pour atteindre le plus large public possible et d’intégrer le plus d’acteurs possible dans le processus de changement que l’on veut opérer dans les communautés. La communication pour le développement aide grandement à promouvoir la participation et à communiquer pour changer.

Joubert Rochefort

Masterant en Sémiotique & Stratégies

Spécialité : Sémiotique de la Communication

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